Procès Lafarge: des victimes du 13 novembre dénoncent le financement du terrorisme
Dans une démarche judiciaire inédite, plusieurs victimes des attentats du 13 novembre 2015 se constituent parties civiles au procès de Lafarge SA, actuellement jugée à Paris pour financement du terrorisme en Syrie. Cette initiative, portée par l'avocate Sarah Scialom, établit un lien direct entre les versements de l'entreprise cimentière française et les attaques terroristes qui ont endeuillé la France.
Un lien direct établi entre financement et terrorisme
"Sans ces versements, ces attentats n'auraient tout simplement pas ensanglanté la France et bien d'autres pays", affirme Me Sarah Scialom dans un entretien accordé à l'agence Anadolu. L'avocate défend notamment des membres de la BAC 75, premiers policiers entrés dans le Bataclan, ainsi que l'association Galea qui œuvre pour la reconnaissance des forces d'intervention.
Selon les éléments du dossier, Lafarge aurait versé environ 5 millions de dollars à Daech entre 2012 et 2014. Ces sommes, précise l'avocate, représentent "les financements d'une katiba toute entière pour plusieurs années", sachant qu'un combattant de l'organisation terroriste coûtait environ 500 dollars par mois.
Une responsabilité directe des dirigeants
Me Scialom conteste la qualification de responsabilité indirecte avancée par la défense. "Nous, on estime qu'elle est directe. On parle d'indivisibilité", souligne-t-elle, établissant un lien temporal entre les paiements effectués en 2013-2014 et les attentats survenus quelques mois plus tard à Paris, qui ont fait 130 victimes.
Cette affaire s'inscrit dans une tendance internationale croissante de reconnaissance de la responsabilité des entreprises dans les conflits armés. "Aujourd'hui, on envisage la responsabilité des entreprises dans les théâtres de crise de manière beaucoup plus concrète", observe l'avocate.
Huit prévenus face à la justice
Le procès, ouvert le 4 novembre dernier et qualifié d'historique, concerne huit personnes, dont quatre anciens dirigeants français de Lafarge: Bruno Lafont (ex-PDG), Christian Herrault (ex-directeur général adjoint), Bruno Pescheux et Frédéric Jolibois (anciens directeurs de la filiale syrienne).
S'y ajoutent deux intermédiaires syriens, Firas Tlass et Amro Taleb, ainsi que deux responsables de la sécurité, le Jordanien Ahmad al-Jaloudi et le Norvégien Jacob Waerness. La société Lafarge elle-même est poursuivie comme personne morale.
Les prévenus encourent jusqu'à 10 ans de prison et 225 000 euros d'amende. L'entreprise risque quant à elle une amende de 1,125 million d'euros, assortie de sanctions complémentaires.
Des révélations qui font date
Cette affaire trouve ses origines dans les révélations publiées en septembre 2021 par l'agence Anadolu, qui avait mis au jour des documents prouvant le financement de Daech par Lafarge, en connaissance des services de renseignement français.
Le procès, qui doit se poursuivre jusqu'au 19 décembre, pourrait établir un précédent juridique important dans la reconnaissance des victimes d'attentats comme parties prenantes dans les procès visant ceux accusés d'avoir financé leurs auteurs.
La cour devra prochainement se prononcer sur la recevabilité des constitutions de parties civiles portées par ces primo-intervenants, une décision qui pourrait faire jurisprudence dans la lutte contre le financement du terrorisme international.